Décembre 2019 - Schubert.
Si elle s'arrête de courir, elle tombe. Je pense : son cœur tombe.
Elle croit que si elle ne cavale plus, elle n'existera pas.
Elle se tient uniquement sur le fil car elle refuse.
Elle refuse d'enfiler la robe datée et gâtée, celle qui sert les hanches et les fait rire. Elle refuse la soie. Elle refuse l'époque et surtout ses signifiants. Elle plaque des signifiants partout, sur tout ce qui bouge et qui l'entoure, comme la robe. Elle enfile un costume d'escrimeuse. Elle ne porte pas la mouche. Sa tête. Elle s'en est grillée une dernière, pour la liberté. Elle refuse la robe, la soie. Refuser la robe, refuser la soie, refuser l’époque, refuser son visage libre.
Elle enfile les jambières et le grillage. Derrière le grillage elle observe la foule qui danse, les corps suants qui meuglent et qui se meuvent sur une musique techno, les Hommes ressemblent bestioles et les insectes grouillent. Mais la scène est vide.
Elle pousse une porte et derrière la porte : au centre : un point. À sa droite : une femme en perruque d'un carré rose éclatant comme celles que l'on trouve mal pliées dans des pochettes de plastique sur les étagères des magasins de déguisements.
À gauche du point : un homard. Il y a les torses nus, un reflet bleuté sur les poils des torses nus. La table est exactement disposée en face de la porte et elle apparait par toute sa longueur quand on l'ouvre. Elle ne peut pas voir ses extrémités. Celles et ceux qui y sont assis.es ne font rien d’autre que d'attendre qu'on les regarde. Celles et ceux qui se trouvent en dessous, aussi.
J’ai eu l'envie d'avoir une aiguille pour une arme.
Je porte l’épée.
Je suis une étude sur le flanc d'un cheval.
Je monte un cheval. Je ne veux pas rester enfermée sur un continent. Toi et moi nous formons un continent au milieu de la mer. Nous n'y échapperons pas.
Soudain, une vaste vision boulimique de l'espace transforme son estomac en un trou noir, dans lequel tout tombe : route, bitume, cascade et façade. Je laisse les choses comme attractions pensant réussir à le remplir.
Je rêve de la terre ocre, d'un vent chaud, des murs siennes. Je me concentre, l'arme repliée.
Je monte un cheval à l'envers. Mes jambes enserrent son flanc, il cavale encore. Il n'y a pas de décor je traverse des espaces vides et sans couleurs. Des plaines et des steppes qui ne sont ni des plaines ni des steppes. Monochromes violacés, drapés. Elle observe les premières photographies décomposant le mouvement. Voilà sur : le flanc du cheval d'Edweard Muybridge. Il avance.
Une étude. Je suis une étude sur le flanc d'un cheval. Parallèlement, je tombe.
La décomposition du cavalier arabe fera ma transition : L'arme s'est dépliée, elle pend depuis la ceinture et forme un segment bien droit entre le corps et la surface du sol. Elle creuse la surface sableuse et trace un léger sillon d'un bruit doux. Les sabots de l'animal au galop le quittent.
Elle ne s'était pas rendue compte qu'elle portait déjà la robe. Sinon, elle aurait poursuivit sa course folle, nue, bouffante.
Le buste ajusté, délirant.
Elle descend des escaliers. Plutôt des marches. Une succession infinie de marches. Comme sur le cliché de l'étude, il n'y a ni point de départ ni point d'arrivée, seulement un point à l'arrêt qui en dit long sur un mouvement. Les escaliers sont en pierre. Elle laisse pourtant à chaque pas, l'empreinte de son pied. Les marches sont en bois. Elle a une écharde dans la plante. Elle descend, sans savoir si elle fuit quelque chose ou si elle court pour rejoindre la fuite; si elle fuit quelqu'un ou si elle court pour rejoindre quelque chose. Se loge au loin, l'idée d'une étreinte contraire.