C'est un texte écrit en décembre 2015 après avoir passé quatre jours à Calais, dans le camp de fortune, appelé la Jungle et abritant plus de 5000 personnes à ce moment là. Une première moitié sera démantelée en juin 2016, la seconde quelques mois plus tard, sans solutions politiques sérieuses pour reloger les personnes réfugiées...Hébergée chez la grand-mère d'un ami, un passage comme un grand écart entre les pantoufles et la boue.
Je reviens d'un ailleurs, mais si l’on considère que la France c’est ici; alors je reviens d’un ici rempli d’aberrations. C’est un nouveau parti la berration ? On peut y voir tout autour les méprisantes barrières de luxe qui affirment l’engagement d’un accord soudain entre les 2 vautours. Les voilà qui s’érigent découpant de leurs barbes laides paysages et humains, « Afin de favoriser l’action de lutte contre ces flux d’immigration illégaux » Cazeneuve, novembre 2015 ». Et tout autour on aperçoit l’ombre de ces hommes assignés à assigner. Ils guettent, surveillent, gazent et immobilisent le moindre battement que provoque ce risque fou qu’est devenue la traversée. LA FRITERIE DES NATIONS ou la loterie des ratios.
Quand les nations se frittent dans l’illusion d’une guerre bien grasse délaissant à volonté un ennemi qu’elles s’inventent : L’isolé, le migrant, le stagnant, plutôt les femmes, les hommes et les enfants d’abord. Errer sans toits ni lois, mis à part celle que de devoir rester là : C’est ne pas tendre l’oreille aux murmures de la mer et aux cris révoltés de ceux qui y sont restés. Et si les vagues bleues marines doivent y déferler, alors je crois bien qu’on y enseignera le surf. COMMENT APPELLE T-ON UN MIGRANT QUI N’A PAS LE DROIT DE MIGRER ?
Puis on attend la chute ... et comme une mauvaise blague : il n'y en a pas. Ils sont là, las d’attendre : Plus de choix. Cet ailleurs, c’est la JUNGLE. C’est un lieu de passage ? Non : c’est un barrage. Une ville, un refuge, un abris ? Non : Un bidonville sur une décharge. La Jungle se trouve sur le chemin des Dunes, qui n’a de joli plus que le nom. Nommez le plutôt le chemin des cynismes car s’y arrêter est un délit qu’il faut désormais payer 35€. (https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2015/12/09/salves-de-pv-pour-decourager-les-benevoles/) Sous les tentes : des Hommes. Chaque nuit, chaque jour, ils arrivent par petits nombres, de Syrie, d’Afghanistan, d’Irak, d’Érythrée ou du Soudan, d’Iran, d’Égypte ou encore de Tunisie. Dans la jungle, je sens le vent froid du nord et le souffle chaud. Qu’il est difficile de compter l’à peu près, de 5000 respirations, dit-on.
Le centre Jules Ferry, le seul espace géré par l’État est un ancien centre de loisir amianté, où les bunkers sont encore plantés ici et là. Les milliers d’hommes se rangent en ligne : c’est l’heure de la distribution entre quatorze et dix-huit.« Un peu moins grosse la louche de semoule, y’en aura pas pour le monde. » Sont distribués 2600 repas chauds par jour. Qu’il est difficile de compter l’à peu près, pour 5000 estomacs, dit-on.
Des routes ? De temps en temps. Et sinon : la boue. Les points d’eau potables et les quelques toilettes sont posées par ici et par là. Mais il faut chercher les moins pires ou penser à se résigner. Il est prévu 600 douches par jour. Qu’il est difficile de compter l’à peu près, pour 5000 corps, dit-on.
Le bruit de la jungle ressemble à celui d’un bourdonnement constant, un peu comme celui des générateurs d’électricité qui permettent d’alimenter le camion aux multiples prises pour recharger les téléphones et la petite lumière du magasin et la boule à facettes du café et les plaques et la télé du restaurant et les enceintes et les ordinateurs du théâtre et résonne dans la jungle qui parle et chante et joue et crie et crise pour oublier le bruit sourd de la vie. Qu’il est difficile de compter l’à peu près, de 5000 coeurs, dit-on. Malgré tout, le camp mute et se transforme au fil des jours et de l’eau qui s’infiltre dans les tentes. Les coins se forment et se déforment. C’est un sacré noeud qu’ on me dit et le temps que ça prend pour trouver le bon bout. Qu’il est difficile de compter l’à peu près.
J’ai croisé dans la Jungle, des centaines de sourires et des Hellos ! how are you ? ee.... I’m good and .. you ? J’ai croisé dans la Jungle deux fois, cet homme souriant l’inconnu de grande taille aux yeux clairs : Ahmed me tend la main : il m’a reconnu. Pas moi, je m’en serais souvenu. Il me dit qu’il m’a vu plusieurs fois à Paris, traverser les étales du marché d’Aligre. Il vient d’arriver à Calais, il ne sait pas où il va, mais il sait pourquoi il est là. De toute façon, ici savoir ne suffit pas, et aller est censuré alors, en attendant, il espère : L'asile. Liquid gold ou comment réchauffer son âme. Il y a aussi toutes ces associations, ces volontaires et ces Calaisiens impuissants mais pas en colères qui déploient une énergie surhumaine à rendre plus vivable la situation. Ils viennent d’Angleterre pour beaucoup, de Belgique ou d’ici pour certains, encore d’ Écosse ou d’Amérique. Pour remplacer petit à petit, les tentes fragiles par des abris de bois, pour distribuer chaque jour, vêtements chauds et portions de repas, pour informer, soigner ou rafistoler ces petits bouts d’trucs et les assembler ensemble. En étant surtout mais en étant vraiment là, enjambant les déchets et les obstacles politiques, ils tâtent chaque jour le pouls de l’espoir et prennent le temps d’être des Hommes parmi les Hommes.
http://www.nordlittoral.fr/calais/le-hangar-une-fourmiliere-de-belles-volontes-ia0b0n278774